« Le temps est bon, le ciel est bleu, j’ai deux amis qui sont aussi mes amoureux », disait la chanson. Tu ne sais pas ce qu’elle veut dire.Du moins, pas exactement. Tu penses avoir compris le gros du message, mais t’es pas certain. Tout ce que tu sais, c’est que depuis ta sortie de prison, tu écoutes beaucoup ce son. Il t’apaise. Pourtant ton ciel est loin d’être bleu, mais et alors ? Tu fais comme tu peux. Souvent, tu fais semblant qu’il l’est pour ne pas craquer. Prétendre qu’on est heureux, c’est déjà un bon début pour le devenir réellement, non ? T’as envoyé un message à Ella, ce matin. T’avais envie de la voir mais malheureusement, elle bossait. Tu ne sais pas pourquoi, mais aujourd’hui, t’as le cafard. Il y a quelques années, tu savais que lorsque ce genre de journée morose se présentait à toi, il suffisait que tu te réfugies dans ton travail pour que tout aille mieux. Mais comment te réfugier dans un truc que tu n’as plus ? Tu ferais bien comme tous ces gens qui se lovent dans leur plaid, glace à la main en regardant un téléfilm de Noël. Tu t’es d’ailleurs dit au départ que c’était probablement la meilleure des solutions. Mais t’as pas tenu plus de dix minutes ; t’as du mal, à rester enfermé. Alors t’as pris tes clés et t’as laissé tes jambes te guider. Peu importe où, tant que ça ne soit pas dans ta chambre d’hôtel miteuse. Sac à dos vintage à la Marty de retour vers le futur sur l’épaule droite, main gauche dans la poche de ton jeans, t’as fini ta course à Greenwich. T’avais oublié comme le parc était beau. Le centre maritime et l’Université se détachent sur un gazon bien tondu, tu croises quelques étudiants en intercours ou rentrant chez eux. Voir du monde t’allège un peu. Tu décides de t’asseoir sur un banc, au hasard. L’envie te prend de vouloir observer le monde autour de toi. Tu adresses un sourire à la jeune femme sur le banc. Elle semble être là depuis un moment, déjà. Tu ne veux pas l’importuner, elle a l’air tellement concentrée ! « bonjour ! Ça vous dérange, si je m’assois avec vous ? » t’es-tu contenté de demander dans un sourire bienveillant. Et puis tu fermes ta veste, le froid devenant bien trop mordant pour toi, te rappelant soudain que l’hiver s’était désormais bien installé.

C’est complètement par hasard, que tu t’es assis là. Pensif, tu es là sans être là. Ton corps, lui, est bel et bien présent, mais ton mental, lui, est à des kilomètres, perdu entre tes années de captivité, tes regrets et le futur que tu as peur de ne jamais être capable d’embrasser complètement. Parce que depuis que la sentence a été prononcée, tu ne sais plus. Comme mis en boite, paralysé, tu as l’impression de ne plus pouvoir faire partie d’une société dans laquelle tu as pourtant toujours été accepté et intégré. Aider ton prochain ? La norme, avant que tu ne sois mis entre ces quatre murs durant sept ans. Pas qu’aujourd’hui tu craches sur autrui, il n’y a qu’a voir ta rencontre avec Alÿs pour percevoir l’humanité qui vit encore en toi. Mais tu as l’impression étrange d’être rouillé. Comme si tu devais réapprendre à vivre. C’est étrange. Tu détestes cette incertitude. Tu détestes aussi le fait de ne plus te reconnaître, lorsque tu t’observes agir. Malhabile, tu t’es assis, silencieux, auprès de la jeune femme. Tu ne tiens pas spécialement à faire la discussion – en fait, tu as surtout peur de l’importuner : tu sais que tu as tendance à trop parler, surtout lorsque tu es nerveux. Pourtant, tu n’as aucune raison de l’être, à cet instant : il fait beau – du moins, c’est un temps d’hiver agréable. Le froid sec entre dans tes poumons, bien vite remplacé par ton souffle tiédi dont les gouttelettes de condensation s’élèvent dans l’air. Tu réponds à son sourire fragile par un autre, pas plus assuré, et la remercie d’un signe de tête. Elle aurait très bien pu te demander de t’installer cent mètres plus loin, après tout. Pourtant, elle ne l’a pas fait. Et ça t’arrange, quelque part : ce banc te fait penser aux balades passées avec Ella. Regard inquisiteur, moment de flottement. Tu hésites et pourtant, sa question est légitime : tu es celui qui vient de troubler son repos. Tu fronces les sourcils et lui adresses un sourire cette fois-ci plus franc : « Je m’appelle Samaël. J’espère que je ne vous gêne pas, à avoir voulu m’asseoir ici … ? J’aime particulièrement la vue qu’offre ce banc. » que tu explicites, comme pour justifier d’avoir troublé ce moment dont elle était reine « et vous… ? Comment vous appelez vous ? » que tu demandes par politesse, mais aussi et surtout pour assouvir ton intêret profond pour les gens que tu rencontres, qui qu’ils soient.