Il y avait des jours, comme ça, qui te donnaient une putain d’envie de te recoucher. Ca avait commencé, d’abord, avec ce putain de réveil, qui avait sonné beaucoup trop tôt : quelle idée, aussi, de ne pas le débrancher un samedi ? Un samedi, qui plus est, où pour une fois, tu n’avais rien à faire, surtout rien qui concerne l’atelier. Oupsy. Dommage pour toi, tu avais perdu ta chance d’une grasse mat’. Et puis de toutes façons, c’était mort pour te rendormir : tu entendais ton frère, depuis le salon, jouer bruyamment avec sa fille : ils avaient la fâcheuse habitude de se penser tout seuls, lors qu’ils étaient ensemble ; ce qui était aussi mignon qu’exaspé… Pied au sol, tu te raidissais tout à coup, pas certain de comprendre. Putain, pourquoi t’avais le pied dans l’eau, là ? Un frisson, lorsque tu compris. La salle de bains en face de ta chambre, soit Aedan avait mal arrêté l’eau de la baignoire, soit… c’était la machine « Putain Aedan ! Le tuyau est pété ! T’aurais pas pu faire... » tu te dirigeais à la hâte sur ton frère, surpris de voir une jolie blonde aux côtés de ton frère et de sa fille. Merde. Alors celle là, tu l’avais pas vue venir. « yowpe ? Tu me présentes pas, frangin ? » tout à coup plus calme, mais surtout bien trop occupé à analyser tout ce merdier, tu soupirais et repartais à ta chambre : les mondanités avec les coups d’un soir du jumeau ? Erk. Très peu pour toi : merci, mais non merci. En vitesse, tu t’étais habillé et t’avais filé au magasin de bricolage pour chercher de quoi réparer la machine à laver : nul doute que ton glandeur de frère s’occuperait d’éponger, hein ? En fait, si. T’avais plus que des doutes, plutôt une certitude que t’allais tout te taper, au bout du compte. Et encore, ç’aurait pu être pire : en redescendant, t’avais bien vu, que rien n’avait infiltré dans l’atelier. Sauvé. Concentré dans la tâche de trouver de quoi réparer, t’as sursauté en voyant sa silhouette. De celles que t’avais pas franchement envie de recroiser. « Monsieur Deveureux ? » que t’avais lancé, un peu surpris, d’un ton blasé. Putain, c’était définitivement une journée de merde.

Le weekend commençait bien. Levé aux aurores, Alistair avait décidé de se mettre sur les travaux de la salle de bain, qu'il avait promis à son épouse, sans jamais vraiment se lancer dessus, réveillant les soupirs de sa belle. Alors, il avait pris sur lui, et commencé à refaire la plomberie, en changeant le pommeau de douche, et les petites améliorations qu'ils avaient prévues. Mais il remarqua qu'il lui manquait le plus important : le robinet qu'il souhaitait changer. Il prit ses affaires, sa voiture, et conduisit jusqu'au magasin de bricolage où il aimait à s'approvisionner.

Les Devereux auraient pu faire appel à un plombier, mais c'étaient des travaux faciles, et Ali aimait bien gérer ce genre de choses sur son temps libre, quand il n'était pas absorbé dans son travail. Il adorait faire les choses simples du quotidien. Juste qu'il n'avait pas toujours le temps qu'il pensait avoir. Souvent le travail revenait à lui, même pendant les congés. Jusqu'à présent, ça n'avait jamais dérangé Alistair : il adorait son travail, et il adorait ce qu'il faisait. S'il n'avait pas eu sa famille, il aurait surement passé tout son temps au bureau. Alors, oui, ça lui arrivait parfois d'oublier de rentrer, mais dès qu'il réalisait l'heure, il n'hésitait jamais à tout rassembler, prendre sa sacoche et rentrer à la maison de toute urgence, pour aller prendre son épouse dans ses bras, et passer une soirée calme, souvent devant la télévision, avec elle.

Quant à ses weekend, il aimait les occuper avec les travaux de la maison. Quand ses filles étaient plus jeunes, ils allaient se promener s'il n'avait pas trop de travail. Peut-être les avait-il fait passer après, toutefois, il s'était toujours promis d'être un minimum présent. Mais c'était se contenter de ce minimum et d'user la pression qu'il avait mise sur leurs épaules pour justifier d'un lien que Johanne lui reprochait.

En pensant à tout cela, il ne s'était pas même rendu compte être arrivé au magasin, et de déjà déambuler dans les allées, comme par habitude. Il était en train de regarder, absent les articles qu'ils proposaient quand il entendit une voix le sortir de sa torpeur. «Oh. Bonjour Archibald.» Non, il ne l'appréciait toujours guère...

Quelle idée, d’aller faire ses courses à un moment pareil ? Bon, ok, toi, t’étais dans l’urgence de l’imprévu. Tu n’avais pas vraiment eu d’autre choix que de te pointer là, maintenant. En fait, tu commençais même à maudire intérieurement le crétin qui avait posé vos canalisations. Si tu pouvais le réparer toi même, comment cela se faisait-il que lui n’ait pas été capable de faire un truc qui tient ? Aussi efficace que la pâte ni clou ni vis, arnaque parmi les arnaques : ne fait ni le taff d’un clou, ni celui d’une vis : CA. NE. TIENT PAS. Tu soupires, prends une grande inspiration : tu pues tellement le seum que tu t’en égares. Mais quand même, t’avais prévu d’autres plans, pour ta journée. A commencer par honorer tes commandes en retard. Ca aurait pu être pas mal. Et puis, Où était Beck quand on avait besoin de lui ? Tu marmonnes dans ta barbe. Coup de massue lorsque tu te retrouves nez à nez avec le père de Jo’. T’as aucune envie de gérer un vague sentiment de combat de coqs : lui donner la preuve que t’es assez bien pour sa fille ? Ça te saoulait déjà sept ans auparavant, il n’y avait pas de raisons pour que ça ait changé. Pire encore : si t’étais pas un vieux croûton digne des vieux sages dans les films d’arts-martiaux devant lesquels vous vous abrutissiez volontiers ton frère et toi ; tu aspirais malgré tout de plus à plus à la tranquillité. La rancœur et la colère avaient bouffé tes jeunes années ? Tu tâcherais au moins de réussir ton âge adulte, du moins à peu près.

Tu l’as tout de même salué, le père Deveureux. Par simple politesse. Certains auraient qualifié cette action d’hypocrisie, mais toi, t’as simplement conscience qu’il faut protéger tes intérêts. Tu restes zen surtout pour Johanne, ce qui avec du recul t’étonne. Ce genre de move réfléchi ? Clairement pas dans tes façons de faire, lorsque tu l’avais rencontrée. Tu te sens fier, presque adulte. Mais ce sentiment se casse la gueule à l’image d’un château de cartes, lorsque tu l’entends prononcer ton prénom. « Archibaaaald » tu frissonnes d’agacement. Putain, t’as jamais pu saquer ce nom, quelle idée à la con ta mère avait eu ce jour là ? Giga chauve. C’est donc ça, l’avenir qu’elle te prédisait ? « C’est toujours Archie, monsieur. Vous aussi, vous avez des problèmes de tuyauterie, à ce que je vois ? Je… j’peux peut-être vous aider ? » que tu avais proposé, te mordant vivement l’intérieur de la joue pour ne pas pouffer de rire à l’idée que ce cher Alistair puisse avoir d’autres problèmes de tuyauterie. Putain, Archie, t’aurais quand même pu formuler les choses autrement !

Il était enthousiaste à l'idée de s'occuper de la maison. Son père lui aurait probablement fait remarquer que ce n'était pas son travail, mais qu'on payait des gens pour faire ce genre de tâches. Toutefois, Alistair adorait faire ce gerne de broutilles. Il appréciait prendre soin de la jolie maison qu'il avait hérité. C'était un peu son petit hobby.

Au magasin, il regardait distraitement les rayons, en essayant de s'imaginer ce qu'il pouvait ou non faire dans la maison. Elle ressemblait déjà à tout ce qu'il pouvait espérer, mais il y avait toujours un peu de ceci ou cela possible à faire, et dont il discutait avec son épouse pour rendre le tout plus agréable. Et puis, ça le gardait occupé, et souvent, il n'avait pas à penser.
Car si tout semblait aller bien sur le plan général, il était beaucoup miné par la situation avec Johanne.. Si seulement tout pouvait être plus simple, et qu'elle pouvait comprendre que ce qu'il faisait, c'était dans son intérêt à elle. Mais non, ça semblait parfois un peu complexe pour sa fille de comprendre.

En parlant de Johanne, il se trouvait face à son Archie. Ses parents l'avaient vraiment prénommé Archie ? Il manquait des lettres dans leur alphabet ? En tout cas, Alistair n'en démordait pas, il s'appellerait toujours Archibald pour lui. Et peu importait combien ça lui plaisait ou non. Si ça pouvait l'embêter un peu, tant mieux, bien que ce soit un peu puéril de sa part. «Oui, c'est ça, comme tu veux.»

Ali plissa les yeux en l'entendant. Il essayait de faire une blague le gosse, là ? Parce que c'était moyennement drôle.. Mais bon, ça volait aussi haut que lui, quoi. Voilà toutefois que ça semblait énormément amuser Archibald. Il était un peu bête, dans son genre, non ? Alistair fit mine de sourire. «Un problème, non. Je refais la salle de bain, pour installer une douche et changer la baignoire. Mais bon, tu ne connais pas trop ce genre de confort, j'imagine... Et toi, alors tu as des problèmes de tuyauterie ?»

Ce petit air suffisant ? Il t’agaçait rien qu’en l’imaginant. Il suffisait en général que Johanne fasse mention de son paternel pour que tu ne grimaces et t’arranges de changer de sujet de conversation. Ah, il était beau hein. Et puis fort ! La parfaite dégaine du selfmade man dédaigneux et condescendant. Y’avait qu’à voir comme il te répondait. Comme il te parlait. Le genre de discussion totalement banale et polie, vue de l’extérieur, mais qui avait le don de te mettre en rogne. Chez toi, on se disait merde, quand on en ressentait le besoin. On se disait en face les choses. Combien de fois t’étais-tu fâché avec ton frère par désaccord ? Combien de fois avais-tu tempêté contre ta mère pour qu’elle arrête ses affaires ? Fort à parier que ce cher Alistair n’avait jamais eu trop de difficultés. Il n’y avait qu’à voir sa façon de te rappeler que ton confort se limitait à tes fuites. C’est idiot, tu le sais : en temps normal, ce genre de remarques coule tout seul sur ton dos. Ca fait sept ans que tu fréquentes Johanne, t’as pu t’apercevoir que papa Devereux ne te portait pas dans son coeur. Mais aujourd’hui, tu sais pas si c’est la fatigue ou le fait que tu viens de la retrouver, tu le laisses t’atteindre. Tu sais qu’il a raison. Tu sais aussi qu’elle est probablement mieux lorsqu’elle est proche de lui que proche de toi : tout ce que t’as à lui offrir c’est un appartement insalubre dans lequel, depuis ce matin, le moyen de locomotion approprié est la barque. T’aurais bien dit la gondole, mais t’as même pas le pognon pour l’emmener en weekend à Venise. Et t’aimerais tellement la rendre heureuse, ta Jo’, que ça te fait mal. Ta gorge se serre. Tu prends une grande inspiration et lui offres un grand sourire quoique crispé : le genre de sourire de vendeur un peu trop déterminé à te vendre ses conneries « détrompez-vous, Alistair. Ma mère a décidé de tout refaire, chez elle, dernièrement. Mon frère et moi avons tout retapé. » que tu te contentes de répondre. Pas un mensonge. Mais ça ne dit pas pourquoi t’es là. Comme si ça l’intéressait. « en effet. Rien de grave. Rien qui ne se répare pas, du moins. » que t’as lancé, un peu amer : force était de constater qu’il avait raison. Tu ne faisais définitivement pas le poids. T’essaies d’être aimable : tu ne lui donneras pas le plaisir de conforter ses croyances sur toi : tu peux être un merdeux, oui. Mais tu te contrôles « alors… comment vont les affaires, à part votre salle de bain flambant neuve ? » tu lui adresses un sourire et observes la pièce défectueuse que tu as emmené avec toi, avant d’attraper ce qui te semble être la même : ça fera le taff, du moins tu l’espères : tu ne comptes pas te retrouver bloqué dans le rayon bricolage avec beau-papa tous les samedis.

Etait-ce nécessaire d'y être allé si fort ? De rappeler même de manière des plus détournées à Archie qu'il n'éavait pas droit au même confort que lui, parce qu'Archie, lui n'était pas de la royauté. Certes, ses affaires étaient florissantes, et ce n'était que grâce à lui-même, il ne devait rien à personne. Mais il y avait beaucoup de choses, comme notamment ses grandes études, qu'il pouvait difficilement se targuer d'avoir eues seul, et pour lesquelles pas tout le monde ne pouvait avoir la même chance que lui.

Rappeler à Archie que lui avait la belle vie ? C'était vraiment vache, et quelque part, au fond de son cerveau, il notait la même chose : c'était vil et injuste, et il n'avait pas apprécié lui-même faire cela. Il savait très bien que de toute manière, il pouvait être le plus odieux possible, Archie ne risquait pas de laisser sa fille. Et s'il l'estimait loin d'être assez bien pour elle, il ne pouvait empêcher ce qui était supposé être ensemble. Peu importait combien cela pouvait l'agacer, il était des choses qu'on ne pouvait pas détruire ou empêcher. C'était le plus détestable.

Enfin, non, à quelques choses près. Depuis quand il l'appelait par son prénom, l'enfant des rues ? Ils étaient suffisamment copains pour s'appeler par leur petit nom, d'accord. Il avait été plus habitué à un "M. Devereux", qu'il appréciait davantage que d'entendre son "blaze" utilisé à tout va comme s'ils allaient boire des bières ensemble. «Oh, très bien.» souffla-t-il, sans forcément vouloir en entendre plus, mais c'était ainsi. Il n'y échapperait pas, à cette discussion sans queue ni tête, cette discussion détestable. C'était comme si l'univers s'entêtait à ce qu'il vive des moments gênants avec Archie... Rasoir.

Et c'était comme si le jeune homme s'entetait à faire durer les souffrances. Il venait à lui poser des questions qui... Hé bien, qui ne le regardaient pas. «Bien, non pas que ça ne te regarde vraiment.» lâcha-t-il, en faisant mine de s'intéresser au rayon dans lequel il se trouvait, alors que son "bonheur" se trouvait déjà entre ses mains.

Incroyable comme ce type pouvait te foutre la mort. Et le pire dans tout ça, c’est que tu ne l’enviais absolument pas. En fait, ça te dégoûtait même carrément, ce côté m’as-tu vu attiré par le luxe. Clairement, il avait raison : vous ne venez pas du même milieu et finalement, c’est loin de te déranger. Parce que pour toi, la réussite, c’est pas ça. Une baignoire en marbre, des robinets en or ? Pourquoi faire, quand tu peux avoir les moments de qualité avec ton frère, ta nièce ou Johanne ? Heureusement que ce crétin n’est pas dans ta tête. Il a beau le savoir, il serait capable de t’arracher les yeux à l’idée des pensées que t’as pour sa fille.

A sa réponse, tu roules des yeux. Intérieurement, t’es au bord de l’explosion. Putain, mais il le fait exprès, ou il est juste né dédaigneux ? Tu mords ta langue pour ne pas balancer une dinguerie qui pourrait marquer la fin de ton couple. Jo’ a beau être majeure et vaccinée, t’as pas envie de tenter de te le mettre à dos : mesure de précaution. C’est pour cette raison, sans doute, que sur le coup, t’as essayé de faire copain copain. Connerie. Tu savais bien, que ça ne vous apporterait rien d’autre qu’un moment de souffrance psychologique et une perte de temps. A sa réponse, tu éclates de rire, d’un rire sa joie. « du Alistair tout craché, hm ? Oh pardon. ‘monsieuuur Devereux’. Ecoutez. J’ai juste voulu être sympathique. Vous ne pourrez pas me reprocher ça. Mais je crois qu’on sera tous les deux d’accord pour dire que cette discussion, c’est dix minutes de souffrance pour nous deux, hm ? J’vais vous laisser à vos trucs de personne influente et occupée… et repartir à ma petite vie de type sans importance qui me convient très bien. Ça doit vraiment vous déranger, hm ? Que Jo’ m’ait choisi. Désolé de pas répondre à vos attentes. » tu lui lances un regard rempli de dédain et attrapes ce dont tu avais besoin. Sans attendre de réponse, tu t’en vas, soulagé d’avoir pu exploser. T’espères juste que la casse ne sera pas trop grosse. Jo’ ne te le pardonnerait pas.