Auriez-vous le même en blanc, s'il vous plaît ? Cela le contrariait beaucoup d'être ici. Il n'avait pas prévu de venir acheter un téléphone ce matin. D'autant que le sien avait à peine quelques mois. Il avait bien d'autres choses en tête et son temps était bien trop précieux pour perdre son temps dans une boutique de téléphonie, mais le destin ne lui avait pas laissé le choix. En sortant du métro, en voulant consulter son téléphone, il s'était apercu avec colère que celui-ci avait disparu. Il ne s'en était pas rendu compte sur le moment. Peut-être était-il tombé de sa poche. Il s'était toujours plaint des poches des pantalons de costumes qui n'étaient pas assez fermées à sou goût. A moins qu'un pickpocket lui ait subtilisé pendant le trajet. Il y avait tellement de frotteurs...

Sans cet évènement contrariant, il serait déjà au travail. Et Dieu sait qu'il en était débordé en ce moment. Le nightclub fonctionnait du tonnerre et le Sub (le fief de son activité illégale, dans une salle secrète du club, accessible par une pote dérobée) tournait à plein régime. De plus, il était en pleine négociations pour étendre ses activités. Il était à quelques jours d'un rendez-vous crucial et avait du pain sur la planche en vue de préparer cet entretien. Après les drogues, l'alcool, le tabac et la prostitution, Owen tenait à diversifier son commerce en ajoutant une autre corde à son arc: les armes. Marché juteux et en pleine expansion ici à Londres, le grand blond tenait à être de la partie et c'est pour cela qu'il devait rencontrer quelqu'un qui lui mettrait un pied dans ce milieu.

Il avait donc d'autres chats à fouetter que d'aller acheter un nouveau téléphone. Mais malheureusement, ce dernier était son outil principal de travail et il ne pouvait tout simplement pas s'en passer. Et il lui fallait le must du must. Il paya donc les 1600£ réclamait par la vendeuse, se saisit de la boîte que celle-ci lui tendait et s'en alla en la remerciant. Nouveau téléphone dans la poche (celle à l'intérieur de sa veste, cette fois-ci (il savait apprendre de ses erreurs)), montre rutilante à son poignet droit - il était gaucher - il s'engagea dans la rue qui menait à son nightclub. Tête baissée, il commençait déjà à paramétrer son nouveau joujou et marcher sans regarder devant lui. Il ne voyait pas ce qu'il se passait autour de lui et avançait en mode "pilotage automatique".

Heureusement pour lui, les téléphones d'aujourd'hui étaient de vrais bijoux technologiques. Béni soit celui qui a inventé un jour le cloud ! Owen était certain que son inventeur était dans la même situation que la sienne quand l'idée lui est venue. Sans doute s'était-il fait voler son téléphone par un petit forcené qui allait le revendre en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Mais pouvait-il seulement jeter la pierre à celui ou celle qui lui avait fait les poches ? N'avait-il pas lui-même, dans sa jeunesse, pratiqué cette activité pour acheter sa dope ? Jamais, jusqu'à ce jour, il n'avait été la cible de ce genre de pratique. Heureusement pour lui, nous étions dans l'air du 2.0 et il comptait bien retrouver son ancien téléphone avec le nouveau.

Le regard et les pensées rivés sur l'écran, il avait lancé une recherche de localisation et qu'elle ne fut pas sa surprise de voir son téléphone à seulement deux rues derrière, se déplaçant à une vitesse certes soutenue, mais pédestre semblait-il. Il décida alors de suivre cette trace et d'aller couper la route du voleur. Il ignorait bien sûr que celui-ci, de son côté, faisait exactement la même chose. Il ne fallut pas longtemps aux deux protagonistes pour se retrouver face à face. Mais l'actualisation des positions n'était pas assez rapide et on fonça dans Owen avant qu'il puisse atteindre l'autre point. Son nouveau téléphone, acheté à prix d'or, s'envola de sa main et il le perdit de vue. Par inadvertance, il avait foncé dans un travailleur qui n'avait rien demandé et son attaché-case s'était ouvert sous le choc, répandant des dizaines de feuilles au sol.

Il voulut se pencher pour aider le pauvre homme, mais ce dernier, vif comme l'éclair, avait déjà tout ramassé et remis à sa place dans sa malette. Puis il était reparti au pas de course, sans demander son reste. Aussitôt, il regarda autour de lui afin de retrouver son téléphone. Il ne le vit nulle part. Dans son cerveau, cela ne fit qu'un tour. Ce type qu'il avait heurtait, il l'avait déjà vu, dans le métro. Il s'était collé à lui l'espace d'une seconde, mais Owen avait mis ça sur le dos du métro qui s'était remis en marche. Le fait qu'il le heurte une seconde fois dans la rue dans un intervalle de temps si restreint n'était à coup sûr pas une coïncidence. Oh l'enculé ! Ni une, ni deux, il s'élança à sa poursuite. Le voleur était déjà à bonne distance et bifurqua dans une rue perpendiculaire. Owen connaissait le quartier et tourna dans une ruelle censée relier cette rue.

Il accéléra le pas, sauta par-dessus les poubelles entreposées là par les commerçants et arriva dans la fameuse ruelle. Un rapide coup d'oeil à gauche puis à droite lui permit de repérer l'homme. Celui-ci tournait une nouvelle fois dans une autre rue et Owen peina à le rattraper, devant se faufiler à travers la foule, très dense à cette heure-ci de la journée. La course-poursuite dura quelques minutes, le grand blond réussissant tant bien que mal à ne pas se faire distancer par l'homme au manteau. Ce dernier semblait connaître les rues par coeur et en connaissait le moindre raccourci. Owen en était sûr, il avait affaire à quelqu'un qui n'en était pas à son coup d'essai. 

Le mécréant connaissait les rues et ruelles de Londres comme sa poche. Voire même comme les poches des autres. Il n'en était pas à son coup d'essai, c'était certain. Il possédait la démarche assurée du type sûr de lui, qui ne se faisait jamais prendre. A cet instant, Owen était confiant. L'autre ne se doutait pas un seul instant qu'il était suivi. Autrement, il aurait couru plus vite que cela. Il avait le pas rapide et savait où bifurquer, ce qui lui donnait un avantage considérable sur le grand blond. Mais ce dernier avait pour lui une excellente condition physique et l'envie de revanche. Il se rapprochait de plus en plus de sa cible et allait bientôt pouvoir lui mettre la main au collet lorsque le feu piéton passa au rouge, laissant la place au trafic, notamment aux nombreux bus qui passaient à cette heure-ci. 

Emporté par l'adrénaline, il ne prit pas le temps de s'arrêter et faillit y laisser la vie à plusieurs reprises. Une Jaguar pila de justesse devant lui, manquant de lui arracher une jambe. Plus loin, un bus le frôla mais un saut lui permit d'atteindre l'autre côté de la route sain et sauf. Cette fois-ci, il eut plus de mal à repérer son voleur. Ne le voyant plus, il décida de quitter la rue principale pour s'aventurer dans la première ruelle qu'il vit. S'il avait dû semer quelqu'un, c'est comme cela qu'il aurait procéder. D'ailleurs, il en connaissait un rayon dans ce domaine, lui qui avait passé une partie de son enfance dans la peau du chassé. Il avait été poursuivi à de nombreuses reprises par des plus grands et plus rapides que lui, mais il avait toujours était le plus agile et surtout, le plus malin. 

Au pied d'une ruelle, il s'arrêta de courir. C'était une ruelle digne de celles qu'on pouvait retrouver dans les films et séries télévisées. Entourée de deux grands immeubles répandant leur ombre inquiétante sur le sol, de la fumée s'échappait des bouches d'égouts et des cheminées latérales. L'ambiance faisait froid dans le dos et tous les signaux ordonnaient à Owen de faire demi-tour, d'abandonner son second téléphone et d'aller s'en acheter un troisième. Mais poursuivant sa quête de justice à travers les ténèbres, il ne lâcherait pas. Ce n'était pas dans son tempérament de s'avouer vaincu et il reprit sa course de plus belle. Heureusement, il avait repris intensivement le sport depuis quelques semaines déjà et jusque là, son cardio suivait la cadence.  

Il n'aurait su dire pourquoi, mais cette poursuite commençait à exciter le grand blond. Elle le ramenait à son passé, à la liberté qu'il avait perdu en passant à l'âge adulte et en montant son empire. En son fort intérieur, il remerciait ce voleur qui avait croisé son chemin ce matin. Cette situation était grisante. Car dans cette ruelle sombre, au cœur de la nuit, ils étaient liés par un lien invisible, celui de la poursuite entre le bien et le mal, la justice et l'audace.