La chaleur écrasante. Le silence qui régnait dans la salle. Nom de dieu, on aurait pu entendre le pet d’une mouche en plein vol, dans cette prison. Enfin. Prison… lycée, appelez ça comme vous voulez, ça avait la même saveur de toutes façons pour Elijah qui, du haut de ses dix-sept ans, tapait la plus grosse sieste de décuvage au fond de la salle d’histoire de madame Winslet qui n’était pas dupe. Ces derniers temps, Elijah avait plus d’alcool que de sang dans les veines. Contrôle surprise. Zéro pointé pour le jeune homme, réveillé en plein rêve par la sonnerie qui annoncerait la délivrance. Non. C’était trop. Putain de cloche qui l’avait violemment séparé de la poitrine avantageuse d’Angelina Jolie dans Tomb Rider ! Il avait les nerfs. Essayant de se faire discret, il s’était fondu dans le troupeau d’élèves qui quittait la salle dans un chahut caractéristique d’ados teubés de cet âge là. Ni vu ni connu, il avait évité le courroux de sa prof pourtant si dithyrambique à son propos en début d’année. Si il avait baissé les bras ? Non. S’il avait des ennuis ? Pas vraiment. C’était d’ailleurs ça, le problème. Elijah avait des facilités, sans doute un peu trop et s’ennuyait dans sa vie ; elle était là, la vérité. Alors il avait commencé à sortir. D’abord pour accompagner des amis. Et au fil du temps, parce qu’il fallait bien admettre que c’était la chose la plus cool qui soit. Et puis, il s’en était toujours sorti en fournissant l’effort minimum. Ca devrait le faire. Et ça l’avait fait. A la fin du lycée, il obtint son diplôme, peut-être un peu grâce à Charlie, sa petite amie rencontrée quelques mois auparavant.Charlie était belle, mystérieuse. Le genre de nana à fumer des vogue, qui vous ensorcelait avec ses grands yeux et ses longs cheveux d’ébène. Un peu motarde, le style rockeuse, la main de velours, le gant de fer. Il n’avait suffi que d’un mot pour qu’Elijah ne lui mange dans la main et pour qu’il en ait la certitude : Charlie était la bonne.

Amoureux de théâtre, il se destinait d’abord à des études dans ce domaine là – pourquoi pas la comédie musicale, l’audiovisuel, peut-être même le doublage, qu’il pratiquait de temps à autres (toujours saoul ou défoncé) avec ses copains lors de soirées arrosées … Avec Elijah, le moindre délire peut devenir un véritable projet. Ainsi, d’une blague de types bourrés était né un film entièrement doublé par leurs soins, à l’instar de leur homologue francophone Michel Hazanavicius avec son « grand détournement »… En beaucoup plus petit, tant par sa durée que par les moyens . En fait, c’était carrément irregardable. Ok. Elijah se destinait donc au théâtre, autant rester dans sa passion, ce qui le faisait vivre et pourquoi il avait assez de talent pour pouvoir en suivre des cours, mieux que dans son petit théâtre de quartier.

Mais le problème avec la vie, c'est qu'elle est souvent faite d’imprévus. C'est même pour ça qu'Elijah la trouvait belle. Et qu'il changea bien vite d'idée lorsque Charlie, la belle Charlie, élégante, magnétique, forte comme un roc, lui annonça son cancer. Putain, comment pouvait on avoir ce genre de maladie de merde si jeune ? Tant pis pour le théâtre. Elijah était bon en sciences. Alors il tenta les concours d'entrée en médecine qu'il obtint de justesse. Sa Charlie, il la sauverait. Il deviendrait médecin pour elle ou le monde arrêterait de tourner. Utopiste, vous dites ? Oui. Elijah eut beau redoubler d'efforts pendant des années pour réaliser son projet, Charlie était de plus en plus faible. Elle eut beau se battre comme une lionne, elle n'a pas pu voir les exploits d'Elijah. Elle est partie. Paumé. Voilà comme il était. Complètement perdu, sans réel but, il continua quelques semaines ses cours de médecine. Faute de mieux. Mais c’était trop. Il ne pouvait plus faire semblant. Sans explications, il a quitté les cours, se raccrochant à ses premières amoures pour ne pas se laisser démonter : le chagrin était là, mais il devait rester fort. Aller de l’avant, encaisser, et vivre. Ce qu’il avait presque réussi à faire. Du moins… en apparence. Car en réalité, Elijah était incapable d’encaisser ça. Alors il faisait l’autruche, s’accrochant à ses rêves de théâtre de toutes ses forces. Et ça payait pas mal. Elijah était fier, heureux lorsqu’il était sur scène. Il oubliait que la vie, parfois pouvait être injuste. Et surtout : il était lui-même.

Cela fait maintenant quelques années, qu’il vit de son art. D’abord avec un petit travail à côté : il n’aurait pas pu prendre le risque de se mettre en galère pour ses rêves : utopiste, ok, se donner les moyens, oui, mais rester réaliste… bon, ok, ce n’était sans doute pas son fort, mais tout de même. Il n’était pas dingue ! Ou peut-être que si. Car à force de travail, il commençait aujourd’hui à se faire un nom. Mieux : son agent lui avait dégotté plusieurs rôles importants, desquels il devrait passer les auditions. Il en avait décroché un, puis deux, puis c’était allé très vite. Vous connaissez la chanson : beaucoup d’appelés, peu d’élus, il fallait croire que le comédien avait eu beaucoup de chance ; et qu’il en aurait encore. Son agent l’a appelé il y a de cela deux jours, pour faire des essais voix : lui qui s’adonnait au jeu du doublage avec ses amis totalement saoul quelques années plus tôt pourrait bien en faire son métier pour de vrai… Le dessin animé ? Pourquoi pas ? Après tout, Elijah était comme Peter Pan : il refusait l’idée de grandir.