HIVER 2022

T'as pas trop eu le cœur de te rendre chez tes parents aussitôt. Toutes ces années de silence, de leur part et de la tienne, dont le seul contact de ton père se fait par des subordonnés pour savoir si tout se passe bien sur l'hôtel que tu as permis de rendre florissant, bâtiment à la dérive lorsque tu as débarqué à St Tropez, ça ne t'a pas donné plus envie que ça de reprendre contact avec ta famille, l'air de rien. Alors t'as laissé les semaines s'accumuler avant que, finalement, Juliette te convainque d'aller tout de même signifier à ton père où tu es. La nouvelle de ta "désertion" - qui n'en est qu'à peine une puisque tu t'es organisée quand même - de l'hôtel a forcément dû se répandre jusqu'à ses oreilles.

Le cottage familial a des allures qui ne t'ont pas tant manquées que ça, te ramenant à tes moments d'enfance qui ne restent pas vraiment le meilleur souvenir qui soit. Toi qui devais à tout prix "donner l'exemple" pour tes soeurs en toute circonstance, assumer même quand tu n'en as pas eu envie.

Quand tu tapes à la porte, c'est de mauvaise grâce. Sans Juliette, tu ne serais peut-être pas revenue dans le coin de si tôt, essayant tant bien que mal d'éviter tes parents. Et quand c'est la tête étonnée de ton père qui t'ouvre, lui qui d'ordinaire laisse sa femme de ménage ou la gouvernante ouvrir pour lui, tu as la sensation que ton coeur s'arrête de battre. Et tu as envie d'être n'importe où ailleurs plutôt qu'ici.

- Bonjour, père. T'aurais aussi bien pu lancer un "salut papa", mais tu n'as pas envie de lancer les hostilités aussi vite.

HIVER 2022

Il est des choses dont Alistair n'était pas toujours le gestionnaire. Il sait pertinemment que malgré ses volontés de guider ses enfants, et qu'ils reprennent la suite de ses entreprises en faisant vibrer le nom des Devereux, ce qu'on lui avait toujours appris, il ne passe pas forcément pour le meilleur père de l'année. Peut-être que ses exigences font de lui une espèce de père qu'on préfèrerait éviter. Néanmoins, il est droit dans ses bottes. Il est un peu dur comme parent, mais il estime que tout ce qu'il fait, c'est pour aider et leur donner le meilleur avenir. Ils seront heureux s'ils savent où ils mettent les pieds.

Sa vie, il l'aime plus que tout, et il ne changerait pour rien au monde la manière dont elle est. Pourtant, à l'âge de ses enfants, il y avait bien des choses qui ne lui convenaient pas sur le chemin qu'on avait tout tracé pour lui. Pourtant, si c'était à refaire, il le sait, il referait les mêmes choses, et se soumettrait à chaque fois aux mêmes obligations.

Installé au cottage, il est en train de lire un livre dans le salon d'hiver. C'est une journée tranquille, et comme souvent, il est seul à la maison pendant la journée. La femme de ménage et la gouvernante sont toutes deux avec des courses à faire, tantôt personnelles, tantôt pour le cottage, si bien qu'il peut entendre les feuilles se bruisser depuis l'extérieur. Quand sonne la porte, il se lève en refermant son livre, et se presse légèrement pour ouvrir au visiteur qui se présente. Un peu surpris, il offre un sourire à Johanne, qui se fane aussitôt. « Bonjour Johanne. Ta mère n'est pas encore là.» dit-il, très sobrement, avant d'ouvrir un peu plus la porte pour la laisser entrer. «J'ai manqué de croire que tu avais oublié le chemin pour venir nous voir.»

Même si elle est la soeur de ta mère et non pas de ton père, Juliette t'a beaucoup aidée et a beaucoup fait le tampon quand tu avais des choses à dire à ceux qui t'ont exilée. Bien sûr, elle a parfois pris cher, petit jeu installé entre vous pour que tu ne sombres pas tout le temps. Mais à force de prendre la défense de tes parents, ou du moins de jouer en terrain neutre, t'as fini par te résoudre au fait qu'elle tenterait tant bien que mal de te convaincre d'aller saluer ta famille. Au moins pour la forme. Tu parles, ça t'intéresse autant que de te faire arracher toutes les dents. Mais bon. C'est trop tard, tu ne peux pas reculer, ton père finalement devant toi.

Ta mâchoire serrée tu aurais préférée ne pas avoir à faire face à ce mastodonte de froideur qu'est ton père. Homme d'affaires avant tout, il n'a jamais vraiment eu le rôle de "papa" dans ta vie. Ni ta mère de maman. Parce qu'à toujours tout te reprocher, même les erreurs et les bêtises de tes soeurs, t'as fini par abandonner l'idée d'avoir ne serait-ce qu'un grain de gratitude. Oh, tu ne te leurres pas. T'as peut-être redoré le blason d'un hôtel à l'abandon qui ressemblait plus à une maison hantée qu'un idéal pour touristes, tu te doutes fortement que tu n'auras pas de merci. Comment le pourrais-tu ? Encore aurait-il fallu qu'il se rende sur place pour voir que tu n'as pas seulement joué à la dinette toutes ces années. Roulement d'yeux intérieur tu soupires dans ta tête, toujours. Devant lui, tu n'oses même pas imaginer ce que ça voudrait dire.

- Je ne suis pas là pour tous vous voir. Juste parce que Juliette ne m'a pas vraiment laissé le choix. Réponds-tu sans plus de ton dans ta voix, neutre, voix presque morne. Il te laisse rentrer et tu t'actives quand même. T'as beau être de mauvaise fois, tu sais que si tu rentres déjà à l'hôtel, Juliette va vouloir t'accompagner et tu ne tiens pas à des retrouvailles si gênantes. Tu grinces légèrement des dents. Comment fait-il pour être toujours au courant de tout ? Rien ne t'échappe, apparemment. Comment as-tu su que j'étais à Londres... ?

HIVER 2022

Il aurait pu avoir son cœur qui se serrait devant la réaction de sa fille, qui sentait très certainement de l'amertume vis à vis de lui, vu combien il avait été dur avec elle quand elle était jeune, en forçant le chemin pour choisir lui-même ce qu'elle devait et pouvait faire. Mais Alistair ne le prenait pas de cette façon. Ce qu'il avait fait, il l'avait fait pour elle, parce que c'était ainsi qu'on lui avait appris, et surtout ainsi que lui avait réussi. Elle pourrait réussir aussi, peut-être d'une autre manière, mais lui ne connaissait qu'une voie qui fonctionnait réellement, et c'était celle qu'il avait empruntée. Il avait vu, plus jeune, ses cousins et cousines essayer de faire de même, et échouer. Aujourd'hui, ils venaient encore taper à sa porte en espérant recevoir une aumône de sa part. Pour ceux dont il est le plus proche, il avait toujours de la générosité envers eux, même s'il était exaspéré que certains ne viennent à lui pour le rencontrer et créer des liens avec lui que dans l'espoir d'une contrepartie. C'était le plus frustrant, et la raison pour laquelle il s'était éloigné de la majorité de sa famille dans ce cas là.

Cependant, les mots de Johanne étaient douloureux. Elle n'était pas ici pour voir ses parents, qui avaient toujours fait le nécessaire pour elle, pour que la vie soit clémente et lui offre ce qu'elle avait à lui offrir. Il y avait un voile d'incompréhension et de colère qui les séparait, c'était sûrement ce qui rendait la communication si compliquée entre eux.«Je vois.» dit-il simplement, pas même pensif.

Il marqua un temps d'arrêt et un petit sourire malicieux se forma sur ses lèvres. «Disons juste que je sais beaucoup de choses. Je ne comprends pas pourquoi ça t'étonne encore aujourd'hui.» Il y avait toujours quelqu'un qui savait où se trouvaient ses enfants, si bien qu'ils n'étaient jamais vraiment perdus dans le globe à ses yeux. Et dès qu'ils étaient là, leurs parents étaient toujours au courant. Il ne dévoilait juste pas ses sources. «Que fais-tu de retour à Londres ?» Elle qui était partie sans regarder derrière elle.

HIVER 2022

La vérité est là : toi-même tu ne sais pas trop ce que tu fais ici. Parce que sans Juliette, tu serais restée prostrée dans ta chambre d'hôtel, à te dire que c'était tout sauf une bonne idée. Et la preuve que tu aurais eu raison : c'est tout sauf une bonne idée. Les bras ballants sans trop savoir que faire sinon taper une fois de temps à autres doucement dans tes mains, preuve que t'es tout sauf à l'aise, pendant que tes bras, lâches, se balancent de façon désynchronisée et lente. Pourtant, tu as promis à ta tante de faire l'effort de donner une chance à tes parents.

Enfin, à Nora, surtout. Même si t'as pas plus envie de la voir que de voir Alistair. C'est pour ça que t'es pas certaine que ce soit idéal de te retrouver face à ton père, bourreau de ta prison dorée au bord de la Méditerranée, loin d'absolument tout ce que tu aimes, loin de celui que tu aimes encore de toute ton âme. Tu le regardes avec un air opiniâtre. "Il voit". C'est ça, ouais. S'il avait vu, il t'aurait pas envoyée là-bas. Enfin, il n'aurait pas imposé à Charlotte de partir, ravi de voir que tu as pris cette voie-là à sa place. Pff. Mais tu n'as jamais fait non plus l'effort de te mettre à sa place.

- Moi qui pensais que tes espions avaient le mal de mer. tu hausses les épaules, amusée par ta petite phrase, en te disant que chaque fois que tu gardes espoir en l'humanité, ton père te démontre le contraire. Mais plus malgré lui que tu ne le crois. Si c'est là ta question, ton... non pardon mon hôtel se porte bien. Mais je rentre. Quoi que t'en dises. Ton regard s'est nettement adouci, voilé de l'inquiétude qui est tienne chaque fois que tu penses aux raisons de ton retour : l'accident d'Archie. Il a eu un accident. Pas besoin de le nommer : ton connaît vaguement son nom, mais il n'y a qu'un seul "il" important, contre lequel il pourrait se battre s'il le décidait, puisqu'Archie n'est en rien le gendre envisageable dans la haute société britannique.

C'est dur pour toi de faire comme si rien ne s'était passé. T'as eu le temps, ces dernières années, de nourrir ta rancune, d'envisager ces "retrouvailles", même si t'aurais plus facilement pu croire que tu resterais à tout jamais bloquée dans tout ça. L'accident d'Archie avait peut-être tout changé à ces plans, te laissant réaliser que parents ou pas tu ne pouvais pas vivre sans lui, mais tu n'en restais pas moins rancunière quant à tout ça. C'est bien dommage, quand on y pense. Parce que tu doutes que tes parents, et surtout Alistair puisque c'était sa décision, puissent-être assez vicieux pour tout ça. La situation ne jouait juste pas à en leur faveur, il fallait le dire. Entre celui qui veut diriger la vie de ses enfants et celle qui refuse de prendre des nouvelles de la plus colérique et "instable" de ses filles. Bref.

Tu pourrais être moins acide et moins amère, mais c'est compliqué, autant le dire. Alors tu te contentes de le regarder en attendant une réaction de sa part. Tu serres un peu plus les dents. "Pas tous" ? Réellement ?!

- Tu ne nies même pas que tu t'amuses à nous espionner ? Moi qui pensais que tu ne pouvais pas tomber plus bas. Et toi qui disais ça pour te moquer de lui.

Tu essaies de lui sourire en réalisant le compliment derrière ses paroles, mais rien d'autre ne sort qu'une douloureuse grimace.

- Oui, mes affaires, comme tu dis. Moins d'amertume dans tes paroles, mais quand même. Même si c'était pas ce que tu comptais faire de ta vie à la base. T'aurais pu rester dans ton fast-food par contestation toute ta vie. Ou dilapidé ton héritage pour le fun. Tes soeurs auraient pu le faire sans souci : pourquoi pas toi ?

Ça te fait du mal de voir comment il réagit. Tu te serais attendue à un peu de compassion, lui qui a bien failli abîmer ce qu'il y avait entre Archie et toi à l'époque et qui, tu l'espérais, demeurait encore. Ta mâchoire toujours serrée, tu réponds moins durement que prévu. Il va bien. Il est vivant. Mais il n'est pas passé loin. Ta gorge se serre. Il a dû renoncer à la vie qu'il avait avant l'accident, et tu espères qu'il ne le regrette pas. Mais bon... Tu te racles la gorge. J'apprécie ta sollicitude.

HIVER 2022
Sous les grands airs de Johanne qui semblait prétendre en savoir et connaître plus au sujet de son père que son père lui-même, il préféra ne pas relever. Elle était ainsi, sa fille : tout ou rien, tout feu, tout flamme, et ses flammes étaient prêtes à ravager le monde. Elle ne réalisait pas que dans son entêtement et certains de ses points de vue manichéens, elle passait à côté du principal : Alistair faisait peut-être des erreurs, mais il ne les faisait jamais contre ses enfants, mais dans l'intention de les protéger. Après, ça restait des erreurs, mais il ne visait jamais de manière à obtenir des effets négatifs.

Il soupira un peu fortement. Tant pis, les mots de sa fille ne lui laissaient pas le choix que de se défendre, pour une fois. «Tu sais très bien que ce ne sont pas des espions. Je suis fatigué de devoir me justifier auprès de toi, Johanne. Tu ne me laisses jamais la moindre chance, et tu ne vois les choses que du mauvais côté. Je ne vous espionne pas, je m'assure juste que tout aille bien pour vous. Parce que contrairement à ce que tu penses, je fais ce que je peux pour être là pour vous, même si de ton coté, tu me fermes la porte.» Il était néanmoins fier de ce qu'elle devenait, et de ne plus avoir besoin de l'aider. Evidemment, malgré son caractère acerbe et ses remarques détestables, il n'hésiterait pas à l'aider si elle en avait besoin, bien que ça ne soit pas l'objectif.

Là encore, elle était rude. De plus belle, Alistair soupira. «Je vois...» nota-t-il, piqué un peu au vif.

Alistair ne su pas vraiment comment réagir face à la réalité d'Archibald. Il avait tellement tenté de les séparer, persuadé que le garçon aurait une mauvaise influence sur sa fille, la tirant vers le bas au lieu de la pousser vers le haut, qu'il n'aurait pas jugé bon de montrer de l'inquiétude outre mesure. Il y en avait dans la voix de Johanne, alors il se montrait présent et disponible du mieux qu'il le pouvait. Si ça comptait pour elle, alors ça le faisait pour lui. «Et comment il va, comment il se porte ?» demanda-t-il en insistant. Vivant.. Vivants, il y en avait beaucoup des comme ça. Cela ne voulait pas dire qu'ils allaient bien. Et puis, pourquoi ça lui importait déjà ?

HIVER 2022

Tu ne vas pas contredire ton caractère, tu sais qu'il est là et tu ne pourras jamais le nier. C'est clairement ce bois dont tu es faite qui fait de toi la meilleure opposante à tes parents, qui fait que tu veux toujours tout faire sauf ce qu'ils ont en tête. Mais cette fois-ci, tu es blessée et ce profondément. Toutes ces années, anéantie par l'absence de cette vie que tu aurais dû avoir. Face à Alistair, tu ne sais plus trop ce que tu as craint. Tu t'en es sortie, toute seule, tu as remonté cet hôtel quasi en ruine avec ta volonté et celle de Juliette, mêlant à ce partenariat fructueux Iris par la suite.

Tu soupires à ton tour. T'as envie, non tu as besoin d'entrer dans cette confrontation. Mais tu te fais violence en te donnant des claques mentales pour ça. Alors tu resserres l'emprise de tes bras l'un sur l'autre, croisés sur ta poitrine.

- Ouais, peut-être. Tu ne peux pas m'enlever cependant le fait que je ne vois absolument pas le positif dans le fait d'avoir été exilée. T'as failli dire recluse. Mais ça, c'est ton fait absolument et tu en es consciente. Sept ans sans vraiment sortir, ou alors toujours distraite. De nouveau, tu soupires. Je suis désolée. Mais je ne vois pas en quoi tu as été là ces sept dernières années. Pas un coup de fil, pas un mot. Même ta mère a appelé Juliette sans jamais prendre des nouvelles de toi ni jamais s'inquiéter ou prendre la peine de te parler. Mais tu n'admettras pas que ça t'a blessée à mesure égale que le fait d'être loin d'Archie. Qui malgré vos lettres ne s'est pas plus déplacé que toi.

Mais le fait qu'il s'inquiète pour Archie suffit à calmer un peu la colère qui bouillonne en toi rien qu'en le regardant. Je ne sais pas ce qui en a été pendant son coma et sa rééducation, comme tu le sais j'ai dû m'occuper de la suite de l'hôtel. D'ailleurs, je n'y retournerai pas. Je compte laisser la gérance à Iris. Tu marques une pause comme pour t'assurer qu'il ne te reprendra pas là dessus. Mais aujourd'hui, il va mieux. Tu n'en dis pas plus. Pas qu'il a quitté les forces de police, déjà jugées en dessous par tes parents, pour une carrière d'artiste, ni rien. Comme si c'était à toi de le faire.

HIVER 2022
Malgré le ton resté calme de Johanne, il ressentait la violence de ses propos. Il n'avait pas été un père parfait, il le savait. Il avait souvent réagi sous la colère ou la déception, sans envisager les conséquences, comme l'aurait fait un super parent. Sauf que voilà, Alistair ne s'est jamais prévalu être un excellent parent. Il avait été un père, un père avec beaucoup de défauts, qui essayait de reproduire ce qu'il jugeait de "bon" : ce qu'il avait vécu, lui, avec son propre père.

Evidemment, c'est douloureux de réaliser les erreurs qu'il a faites avec elle. Et encore plus en lisant cette rancoeur entre eux. «J'en ai conscience. Je suis désolé que les choses se soient passés ainsi.» Enfin, il fallait dire qu'en colère, il avait bien souvent préféré laisser parler son égo. L'exil de Johanne ? Il ne risquait pas de faire le premier pas vers elle, déjà qu'il peinait à envoyer le moindre texto à qui que ce ne soit, passer un appel, c'était pire encore. Il laissait cette tâche à sa femme. Mais, contre toute attente, et malgré ce que disait son ego, à savoir, de répliquer et se justifier, Alistair se montra capable de rester silencieux, et d'écouter, se mordant la joue et la langue pour ne pas interrompre sa fille.

Il comprenait, peu importait combien douloureux, ce qu'elle lui disait. Il a été là pour elle, il a demandé à ses indics et leurs partenaires commerciaux et financiers, de s'assurer qu'elle allait bien, que tout se passait pour le mieux pour elle. Il a essayé d'intervenir dans sa vie, malgré les barrières qu'elle avait dressées. Il n'avait pas montré sa présence en sept ans. Pourtant, lui et la mère de Johanne avaient été là, même si c'était toujours de loin.

Pour une raison qui lui échappait, il lui avait demandé ce qu'il advenait d'Archie. Il n'aimait pas cet homme, même s'il voyait qu'il faisait du bien à sa fille. Pour le moment. A quel moment commencerait-il à la blesser ? Elle glissa rapidement quelques informations dans ses dires, ne lui laissant guère le temps de rebondire, avant de conclure. Il allait bien, son Archie.

«Tant mieux... je suis content pour lui.» Pour lui ? Enfin, pour Johanne, surtout, Johanne dont il imaginait le regard inquiet, les sourcils froncés par l'inquiétude..

HIVER 2022

De toute ta vie t'aurais jamais imaginé avoir des excuses de ton père pour la façon dont tout ça s'est déroulé. Peut-être que ces paroles aident plus que tu ne l'imagines à rendre silencieux tes mots emplis de colère, attendant sans doute la suite, le moment où plus rien n'irait et tout partirait en vrille, ce moment même où le premier mot de travers te ferait exploser plus que jamais et prendre une décision définitive. Un peu comme celle qu'Edward avait prise avec sa famille. Pourtant, c'est pas non plus ce que tu souhaites. Car malgré tous les défauts que tu peux imputer à ton père, tu sais qu'il a simplement suivi les conventions dans lesquelles il a grandi. T'irais pas jusqu'à le plaindre, mais quand même.

Ces excuses ont quand même le mérite de soigner un peu la douleur qui s'est implantée dans ton coeur ces dernières années, dont la plupart a été provoquée par le silence de tes parents, ta mère prenant la peine de communiquer avec Juliette, sa soeur, mais pas avec toi. Oui, même ta narration radote puisque ça t'a un peu trop marquée.

Tu notes qu'Alistair n'a pas relevé la partie concernant l'hôtel, le fait que tu ne retournerais pas à St Tropez. Est-ce que tu dois comprendre là qu'il est d'accord ? Après tout, qui ne dit mot consent. Puis s'il est pas d'accord, tant pis, tu es majeure et ne souhaites pas que ta vie soit encore dirigée par une autre main que la tienne.

Tes yeux s'arrondissent instantanément sous le coup de la surprise ; toi qui pensais qu'il ne te surprendrait pas plus que quelques instants auparavant en te demandant comment l'homme avec qui tu partages une partie de ta vie et avec qui tu veux la partager pleinement va...

- Vraiment ? Tu es sincère ou tu dis ça comme ça ? T'es bien placée pour savoir que ton père ne dit jamais rien "comme ça", mais quand même. L'ombre d'un sourire qui naît sur ton visage, elle, indique que tu es ravie d'entendre ça, cela dit.

HIVER 2022
Le ton semble se calmer, et les choses s'arrondir, même si l'amertume de la jeune femme semble être encore bien palpable. Alistair a conscience que les dernières années n'ont pas aidé la situation à s'arranger. Les actions qu'on lui a inculquées, celles qu'il a vécues, avec bien moins de rébellion que Johanne, il n'a fait que les répéter, sans réaliser que ce n'était pas bien. Car mis à part quand on lui a fait remarquer, et qu'il a pris conscience aussi que c'était une erreur de perpétrer des traditions erronés d'une éducation un peu hors du temps, et totalement désuette.

Il ne peine pas à remarquer que Johanne ne relève pas le sujet. Qu'elle fait mine de rien, en continuant de parler de tout, de rien, et de déverser une bonne partie de son amertume dans la mer de parole qu'elle lui offre. Il hausse les épaules lorsqu'il est question d'Archie. Alistair ne l'aime pas davantage, mais... si elle est heureuse à ses côtés, n'est-ce pas ce qui compte ? Mais il a intérêt à ne pas la blesser, car sinon, il sait que ses genoux ne se dérouleront jamais plus.«Tu as l'air heureuse. Alors, oui, je suis content si ça te rend heureuse.» Est-ce si difficile à croire, qu'il puisse se satisfaire du bonheur de sa fille ?

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En fait t'es même un peu prise au piège. Dans ta tête, la rébellion continue de faire feu dans tous les sens, mais ton coeur est un peu moins douloureux, bat un peu moins vite sous le coup de l'énervement. Tu n'aurais jamais pensé que la conversation puisse tourner vers cette direction, ou du moins pas immédiatement. Tu aurais imaginé Charlotte, peut-être même Fleur, se ranger de ton côté, événement suffisamment important pour Alistair pour qu'il te donne raison. Vous donne raison. Parce qu'on ne va pas se mentir, tu ne comptes pas trop sur ta mère pour ça. Nora et toi n'avez pas vraiment conversé depuis trop longtemps pour savoir vos opinions à chacune, même si les tiennes sont claires.

Pleinement touchée par les paroles de ton père, tu es prise de court, incapable de penser à une seule parole logique et censée dans tout ça. Plus encore, t'as jamais eu de facilité à imaginer que ton père puisse espérer ton bonheur là où, en tant que première née, t'as davantage eu le rôle de bêta-testeuse tout simplement. Bon, bah... ok, ouais, allons-y, si c'est la direction qui semble la plus appropriée.

- C'est le cas, il me rend heureuse. Je ne sais pas comment j'ai fait pour supporter autant d'années loin de lui. Ça a toujours été lui. Malgré la différence d'âge, malgré vos milieux différents, malgré tout. Si t'étais une gamine quand vous avez commencé à sortir ensemble, ça ne t'a pas empêchée de tomber amoureuse de lui, ça n'a pas empêché ton coeur de ne jamais battre que pour lui depuis. Et ce ne sont pas ces presque mille-cinq cent kilomètres qui auraient fait quoi que ce soit en ce sens. Tu regarde Alistair un instant et inspire doucement. Merci, papa.