Doucement mais sûrement, ta vie reprenait. Tu avais plus ou moins retrouvé tes repères, Théa de nouveau dans ta vie pour ta plus grande joie et Rose, aussi. Parfois, tu te sentais mal habile, comme si tu allais casser quelque chose à tout moment entre vous, comme tu avais pu le faire la première fois. Quel crétin. T’avais tellement peur de la perdre, Rose, que t’en devenais quasiment irrationnel. Même chose avec ta sœur, d’ailleurs. Tu t’évertuais, cette fois, à rester en contact : hors de question que tu ne refasse la même erreur qu’il y avait sept ans. Et la musique dans tout ça ? Ce qui était sans doute paradoxal, c’était ta cadence d’écriture. Tu faisais moins de vidéos sur youtube, mais, à l’inverse, tu créais pas mal de contenu sur soundcloud. Parfois, il t’arrivait de repenser à Alÿs ; cette gamine, pas méchante mais peut-être un peu trop … intense ? Difficile de se dire qu’au dehors, des gens vous connaissent, alors qu’on ne sort pas de sa chambre. Si votre première rencontre t’avait laissé perplexe, tu te demandais aujourd’hui ce qu’elle penserait de tout ça. Peut-être d’ailleurs continuait elle de suivre tes contenus ?

Un peu perdu dans tes pensées, tu t’étais installé en terrasse. Il ne faisait pas particulièrement beau, mais aussi débile cela pouvait paraître, toi, c’est ce qui t’aidait à trouver l’inspiration. La pluie, l’orage, la grisaille… t’étais le putain de stéréotype du poète maudit, c’en était parfois, d’ailleurs, risible. Comme à ton habitude, tu avais commandé une bière – tu aimais commencer léger, te donner l’impression, du moins, de garder le contrôle sur ta consommation qui t’avait échappée depuis longtemps. En attendant que la serveuse ne pointe de nouveau le bout de son nez, tu avais commencé à griffonner quelques mots sur ton carnet, glissant ton casque sur tes oreilles pour réécouter l’instru que t’avais réalisée pendant la nuit. Au t’avais à peine remercié la serveuse lorsqu’elle t’avait emmené ta pinte, trop concentré. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes que tu as fini par t’arrêter, dans un mélange de surprise et d’incompréhension : t’avais l’impression qu’on te regardait, alors t’as enlevé ton casque, sans même entendre qu’on t’avait parlé. Mais tu reconnus la jeune femme. Dans un sourire un peu confus, tu lui désignais la chaise face à toi et rangeais ton casque « désolé. J’étais concentré sur une instru. Tu veux t’asseoir avec moi ? Comment tu vas ? » tu ne la connaissais pas vraiment, mais tu l’avais appréciée, lors de votre première rencontre.

Tu détestais qu’on vienne te déranger, d’habitude. La solitude ? C’était un truc auquel tu t’étais habitué, peut-être même que tu aimais passer de plus en plus de temps avec toi même, sans qu’un crétin ne vienne te déranger dans tes pensées, compos ou à peu près n’importe quoi qui pourrait faire vibrer ton coeur fragilisé par l’absurdité de la vie et le sens de l’humour assez étrange que cette dernière pouvait avoir. Souvent, tu t’arrangeais pour traîner dans des quartier où tu avais la certitude de ne connaître personne. D’autres fois, comme aujourd’hui, tu prenais sur toi, considérant que ce ne serait pas si terrible, de devoir dégoiser un « bonjour » à ton voisin. Pourtant, c’était plus fort que toi. T’étais resté dans un quartier où tu connaissais du monde, certes. Mais avec ton casque réducteur de bruit. Rien à voir avec l’idée de croiser quiconque : t’étais juste un gamin a Noël, face à de nouvelles instrus. Et cette nuit avait été particulièrement prolifique : il fallait que tu poses des mots là dessus. Dommage pour toi, t’avais juste commencé, lorsque la jeune femme était arrivée. Dommage ? T’en étais pas si sûr, finalement. Quand tu l’avais remarquée auprès de toi, tu n’avais pas eu l’envie de la jeter, comme 95 % des gens. Bon point pour elle, sans doute, elle faisait partie de ceux qui ne te dérangeaient pas. T’aurais bien dit « que tu appréciais », mais vous ne vous étiez croisés qu’une seule fois, au détour d’une rue. Elle avait demandé à te prendre en photo, ce qu’au départ, t’avait hésité à accepter. Mais finalement… Tant que tu ne devenais pas le prochain truc touristique à la mode à Londres, ça t’allait. En tous cas, elle t’était sympathique, et c’était pour cette raison, que tu lui avais permis de s’asseoir à ta table « ça va ! Qu’est ce que tu deviens, depuis l’autre jour ? T’as pu faire ce que tu voulais, avec tes photos ? » que t’avais demandé dans un sourire, réprimant un rire en voyant la serveuse râler. Avec tout le fric que tu lui lâchais, à celle là, elle pouvait bien pour une fois te permettre d’avoir une visite gratuite à ta table, nan ?

Olive ? C’était le genre de rencontre inattendue. Toi qui n’aimais pas les gens, t’avais pourtant réussi à trouver du positif dans sa rencontre. Mieux encore. Elle faisait partie de ces gens avec qui tu aimais parler. Cercle très select jusqu’ici composé de ta sœur, de Rose et de Marvin, voilà que peu à peu une nouvelle place se profilait doucement… et c’était pas pour te déplaire. Olive transpirait le calme et la bienveillance, le genre de choses que tu remarquais chez l’autre à la vitesse de l’éclair, sans doute parce que c’était ce à quoi tu aspirais : on ne reconnaît que ce que l’on connaît, après tout. Alors tu l’avais invitée à ta table et tout naturellement, vous aviez commencé à discuter, de ses photos, notamment. Et t’as ouvert de grands yeux « oh félicitations, c’est génial ! » voir une autre artiste que toi réussir ses projets, y’avait de quoi être content pour elle, non ? Enfin ça, c’était jusqu’à ce que tu réalises. Si elle te parle de ces photos, c’est que… « attends. Sérieux ?? ils ont retenu ces clichés là ?! Wow. J’m’y attendais pas du tout… ça va rester combien de temps ? Y’a beaucoup de gens qui vont le voir ? » si la panique tentait de se frayer un chemin jusqu’à ta bouche, tu grimaçais : quel genre de connard tu serais pour lui interdire de briller ? Tant pis. Ce n’étaient que des photos, après tout. Il n’y avait pas mort d’homme. Tu haussais les épaules et pris une gorgée de ta bière « tu sais quoi ? C’est d’accord. Vas y ! » tu lui adressais un sourire et proposais « on a qu’a trinquer à ça, non ? » tu lui adressais un clin d’oeil bienveillant, sincèrement content que ça marche pour elle !

T’aimes pas franchement être le centre de l’attention. Voilà pourquoi, de prime abord, t’as très envie de dire non. Ce que tu ne fais pas. Parce qu’au fond de toi, tu sais ce que c’est de vouloir que ça marche, que son travail soit enfin reconnu. T’as pas le droit de l’empêcher de réussir. C’est vrai, vous n’opérez pas dans les mêmes sphères, mais tu peux imaginer que vos aspirations sont similaires. Alors ouais : tu l’aurais mauvaise, qu’on puisse t’interdire de réussir à ce que tu voulais. C’est cette raison, qui t’a fait changer d’avis. Et puis t’es conscient que de toutes façons, t’es personne. Un no name. Pas vraiment de risques, donc, que ça puisse avoir un impact. Du moins pas plus que ce que t’as déjà posté sur les réseaux sociaux, si on y réfléchit bien. Tu hausses les épaules et lui adresses un sourire « Non, non ! Tout va bien. T’as du talent, Olive. C’est normal que ça soit exposé. Ces photos… Elles t’appartiennent. C’est mon image, c’est vrai, mais c’est pas ce que je suis. C’est ton talent, que les gens viendront voir ! Pas ma tronche de mec random ! Ou alors… s’ils viennent pour ça, c’est parce que t’auras su la mettre en valeur ! » tu lui adresses un sourire, amusé en l’entendant s’enfoncer encore et encore, tellement persuadée que t’allais dire non qu’elle ne réalise pas que ton oui a été formulé depuis déjà quelques instants « bien évidemment que j’ai dit oui ! Et puis… elle est quand, cette expo ? Je crois que j’adorerais voir ta réussite en temps réel ! » tu lui adresses un clin d’oeil et demandes « qu’est ce que tu veux boire ? » t’as conscience que tes petites habitudes ne sont pas du goût de tout le monde. Y’a bien longtemps, que t’as appris à masquer, d’une technique aussi simple que ridicule : laisser la personne en face de toi choisir en premier et te mettre au diapason ? Tel est ton secret. Pas besoin d’être un génie, pour limiter la casse.

T’as jamais été du genre à vouloir attirer l’attention sur toi. Alors forcément, qu’elle te demande d’être la pièce maîtresse de son expo, ça te met aussi mal à l’aise que ça te surprend. Pas que tu sois contre, t’es juste pris de court. A sa réponse, tu hausses les épaules et tu ricanes « Aucun risque. Ma mère n’est pas à Londres. Tu n’auras donc pas ni sa présence, ni celle de toutes ses copines, pour public... » tu prends une gorgée de ton verre et tu ricanes « et c’est mieux comme ça, crois moi ! » tu lui adresses un clin d’oeil moqueur, reposant ta pinte vide sur la table « c’est la moindre des choses que je pouvais faire, tu crois pas ? » tu lui adresses un sourire et enfouis tes mains dans tes poches, t’installant un peu plus confortablement au fond de ta chaise « plus sérieusement...bien évidemment, que je viendrai ! Et puis d’ici là, si tu as besoin de quoi que ce soit dans la préparation de l’expo… tu sais que tu peux compter sur moi! Je n’ai rien de spécial à faire dans les prochains jours. » rien de spécial excepté tes sons. Mais faire d’autres choses te permet d’y réfléchir, à l’image d’un application qui continue de fonctionner en arrière plan. Tu finis par appeler le serveur et demandes un coca et une limonade. « et après ça ? Tu as d’autres projets ? » que tu demandes, curieux, à la brunette.

Ne pas être aussi convaincu ? Comment cela pourrait-il en être autrement ? Toi qui ne te considères pas comme exceptionnel, forcément, tu doutes très fortement. M’enfin, tu hausses les épaules et lances, nonchalamment « l’important, c’est qu’on vienne à ton expo, quelle que soit la raison, pas vrai ? » tu lui adresses un clin d’oeil et reprends une gorgée de ton verre « je sais que je ne te dois rien. Ça me fait plaisir. Si j’peux aider... » que tu lances, avant de froncer les sourcils alors qu’elle évoque le fait que tu fasse de la musique « non, c’est juste… mais… j’peux te demander ce que tu as derrière la tête ? » que tu demandes, tout à fait curieux. Là, tout ce que tu vois, c’est un clip ou un artwork. Mais rien n’est prêt. Tu te risques à lui sourire légèrement  et hoches la tête [v] « c’est déjà génial, d’autant plus si ce n’était pas prévu. Tu peux être fière ! »[/b] et t’espères sincèrement qu’elle trouvera son public, que tout ça lui donnera une visibilité : elle a du talent, de ce que tu as vu. Et puis, c’est quelqu’un que tu apprécies, elle mérite de réussir. Quant à toi… t’as beau être habitué à la question, venant de tes proches, elle te donne toujours autant le vertige, lorsqu’on te la pose « j’fais des vidéos youtube sur la musique, son histoire. Des lives, aussi, sur un peu tout et n’importe quoi, toujours dans le domaine musical. Mais … j’ai quelques morceaux en préparation. J’aimerais sortir mon album cette année, pour être honnête. » Projet que tu n’évoques que très rarement, tant t’as peur de te rater.