« Plus j’avance plus j’me goure, je crois qu’je suis pris de court... »

Tom ? Il est né à Colombus, en Ohio il y a de ça trente piges. Putain, déjà. Improbable, quand on le voit, lui, le type qui agit encore et toujours comme un adolescent attardé un peu débile. Le truc, c’est qu’il n’a jamais grandi. De la primaire à grimper dans les arbres, au lycée où il a eu ses premières expériences qui faisait de lui un mec trop rock -du moins pour lui, les autres le voyant relativement comme outsider par excellence- c’était un miracle, de se dire qu’il avait réussi à avoir son putain de diplôme, avec un poil dans la main aussi gros que celui qu’il avait. Et puis, ce qui est bien, quand on naît dans une famille comme la sienne, c’est sans doute la liberté que l’on a, sans parents sur le dos. Papa avait fait fortune dans l’immobilier, maman, ancienne mannequin avait aujourd’hui sa propre marque de prêt à porter. Juste de quoi faire en sorte pour leur fils à papa que la vie soit marrante sans trop d’efforts : y’avait qu’à leur servir ce qu’ils voulaient. Mais ça n’a duré qu’un temps. Tom majeur, sans perspective d’avenir concrète autre boxeur -chose que ses parents n’ont jamais prise au sérieux-, ils décident de l’envoyer dans une de ces grandes écoles, dont l’Angleterre a le secret. L’Amérique avait l’Ivy League ? Fine. Les britanniques renchérissaient avec le Russell Group of institutions. Si sa mère est certaine que ces écoles seront meilleures que celles qu’il pourrait côtoyer, son père a de sérieux doutes. M’enfin, du moment que ça peut l’éloigner de ses mauvaises fréquentations, ça ne peut qu’être bénéfique, non ? en tous cas, Tomas, lui, ça l'arrange: voir du monde, et surtout s'extirper de sa cage dorée, ça l'arrange pas mal.

« En moins d'trente secondes j'me suis fait maxi mal »

La boxe ? C’est son rêve. Le truc qui le fait vibrer, lui donne envie de se lever le matin alors que, nom de dieu, tout le monde sait qu’il n’est pas du genre à se lever avant treize heures, s’il n’y a pas le feu dans sa piaule. Mais pour rien au monde il n’aurait raté un entraînement, à tel point que contre l’avis de ses parents, il se rêve professionnel. Avant d’arriver à Londres, d’ailleurs, il passe semi-pro. Fierté dans ses yeux, honte dans ceux de ses parents, il continue à s’entraîner plus fort encore. Mais les accidents arrivent même aux meilleurs. Il se retrouve blessé lors de son premier combat pour passer pro. Fracture du boxeur, paradoxe parmi les paradoxes. Il espère (j’aurais bien dit « il croise les doigts », mais essayez de le faire, avec la main cassée, vous êtes drôles !), prie sans même réellement croire en quoi que ce soit. Mais ce n’est pas suffisant. Cassure visible sur son troisième métacarpien, articulation la plus sollicitée en boxe, il n’a pas d’autre choix que de mettre fin à sa carrière. Pour autant, il reste proche de ce monde qu’il aime toujours du plus profond de son être : la boxe lui a appris la rigueur, lui a permis de se recentrer lorsque son mental barrait en steak : il ne pouvait pas se résoudre à en rester bien loin et se propose au départ comme assistant à la salle la plus proche de chez lui. Les années passant, il devient proche du directeur de la salle, qu’il considère comme quelqu’un de sa famille. Il connaît tout de lui ; c’est réciproque, du moins il pense. Les deux hommes sont en tous cas assez proches pour que le directeur de la salle ne couvre Tomas, lorsque les parents de ce dernier le fliquent d’un peu trop près, assez aussi pour qu’il ne lui propose un poste en tant que prof dans sa salle. Au départ pour dépanner, mais maintenant, de façon régulière.

« Je vois tout à fait le problème. Vous êtes peu enclin à l'effort, très pessimiste, et  globalement en manque de charisme. Vous êtes comme ce monde, monsieur: DANS LA MERDE. »

Sa petite vie bordélique mais néanmoins tranquille, il aurait pu la poursuivre comme ça jusqu’à la fin. C’était sans compter sur Mister and Miss Stern Sr. De visite à Londres pour… eux seuls savaient quoi, putain. Tomas complètement saoul, ils comprennent que malgré leurs efforts, leur grand dadet de fils n’a pas changé pour un sou. S’il faut agir, ils le feront et d’ailleurs, ils ne tardent pas à convenir d’une alliance avec les Saintclair, grande famille détenant un grand groupe dans l’immobilier, elle aussi. Et le mariage entre Tomas et leur fille, mannequin, est voué à sceller les liens entre les deux familles, ainsi que l’agrandissement de l’empire paternel : il en avait jamais assez, au plus grand damne de son fils qui multiplie de plus en plus ses sorties et ses frasques : croiser la blonde plus que dans un encadrement de porte ? Merci mais non merci. Il n’a pas le temps pour ces conneries, c’est peine perdue. Et puis quoi ? Il faudrait qu’il change de vie pour la voir disparaître ? Clairement, il n’y était pas prêt. Pas l’envie, pas l’énergie, pas… et puis merde, vous voyez, quoi.

« Rallume pétard enfoui sous terre, plus rien n'est grave passe moi une bière »

C’est déjà ainsi, qu’il vivait sa vie avant que tout bascule. Avant que ses parents ne décident de l’envoyer à l’autre bout du monde et que lui, trop flemmard pour avoir un avis, ne se laisse faire. Avant l’accident. Mais elle, elle avait su calmer ses maux. Pas assez pour le faire rentrer dans les rangs – on ne devient pas grenouille de bénitier en squattant toutes les nuits avec ses démons ; mais assez pour qu’il devienne presque raisonnable. Lorsqu’il est avec elle, il n’a plus peur, ni du noir, peur idiote héritée de ses jeunes années, ni de rien, pas même du sérieux qu’il évite pourtant avec un certain talent. Sans doute pour cette raison, qu’il a fini par lui avouer ce qu’il avait sur le coeur, sans même prévoir que ça pourrait ne pas être réciproque. Ca lui apprendra. Plutôt que de se prendre la tête, il préfère teaser sans penser à demain. A quoi bon, de toutes façons ? Son futur ? Il est tout écrit. Mariage avec Lynda, gamins, enfermement dans la même vie que ses parents, sans fantaisie ni amour : il n’y a pas d’issue.