Si la vie est faite de changements constants et de défis imprévisibles, il est des éléments de la vie qui sont immuables et qui vous accompagnent tout au long de votre existence. Pour Marvin, l'un de ces éléments était son inconditionnel amour pour la musique et pour ses parents. La musique. Cette chose si pure et parfaite qui l'a accompagné toute sa vie, inscrite dans son âme depuis son plus jeune âge, héritée d'une mère amoureuse de classique. Le violoncelle, c'est le tout premier instrument que Marvin a essayé dans sa vie. Complexe d’œdipe qui veut tout faire comme sa maman.

Ally était une femme qui respirait la joie de vivre et l'amour. L'amour de tant de choses : sa famille, la musique et surtout son violoncelle, qui des années plus tard trônera pièce maîtresse dans l'appartement partagé de Marty et Marvin. Ally était le genre de femme que l'on ne pouvait qu'aimer. Rien qu'à la regarder, on la trouvait belle et intéressante. En la connaissant, elle était cette femme pleine de tendresse et de délicatesse qui donnait envie de rester près d'elle, encore et toujours. En tout cas, c'est comme ça que Marvin se rappelle d'elle. Il se souvient encore la première fois où elle et Marty l'ont accompagné à l'école primaire, chacun tenant une de ses mains, lui assurant que son premier jour d'école "chez les grands". Ils n'arrêtaient pas de lui dire que tout se passait bien et seule la pressions de leurs mains sur les siennes arrivait à lui faire envisager avec beaucoup d'enthousiasme ce nouveau niveau d'école. Il avait eu beaucoup de mal à se détacher d'eux et il avait fallu qu'Ally l'accompagne jusqu'à l'intérieur et qu'elle le confie à une enseignante pour qu'il accepte de se séparer de ses parents. Habitude qui resta les premières semaines de l'année scolaire et qui recommença les deux années qui suivirent.

Il ne mit pas beaucoup plus de temps à mettre la main sur un violoncelle, attiré par celui de sa mère, voulant toujours l'emprunter. Il avait sept ans quand ses parents lui firent cadeau du premier sien. Ensemble, Ally et Marvin jouaient, sous les yeux et les oreilles attentifs de Marty, qui ne semblait pas miséreux d'avoir à entendre les fausses notes provoquées par le frottement de l'archer contre les cordes alors que Marvin se croyait déjà petit prodige en musique sans avoir jamais fait autre chose qu'écouter sa mère jouer.

Petite fierté de ses parents mais aussi de ses grands parents, Marvin est resté un enfant très éveillé, toujours sur le qui-vive, joueur comme pas d'eux, toujours prêt à faire des bêtises. Et, dans la mesure du raisonnable, chaque bêtise était saluée de quelques rires. Tandis que les plus déraisonnables, elles, n'arrivèrent pas, toujours plus joueur que prêt à défier l'autorité. Enfant agile, qui adorait sortir avec ses parents, discret, pas si difficile que ça. On pouvait l'amener partout sans jamais qu'il ne soit un problème. L'enfant facile et heureux qui n'a pas besoin de faire des caprices pour se faire remarquer. Enfant et adolescent tranquille.

Jusqu'à ses quatorze ans.

Loin de tout ce que les autres adolescents semblaient vouloir marquer, tous ses amis qui grimaçaient dès qu'ils devaient sortir avec les parents, Marvin avait toujours adoré chaque sortie planifiée par Marty, les idées de son père étant toujours plus folles et intéressantes les unes que les autres. Et, souvent, il apprécie. Le fait d'être l'enfant arrivé comme un cheveu sur la soupe en plein pendant leur adolescence fait des Hopkins un petit trio soudé. Et Marvin est incapable de rechigner, trop heureux de passer du temps sur un bateau de plaisance avec ses deux personnes préférées sur terre. Mais son bonheur se transformera en tragédie en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Si les premières heures de ce petit moment de bonheur furent à l'image de ce moment, les heures et le moment lui-même tournèrent au cauchemar. Mais dans la nuit, un incendie se déclare dans la cabine. S'il rechigne d'abord à l'idée, ne voulant pas laisser ses parents derrière, il s'extirpe en premier, suivi de son père et, supposément, de sa mère. Alors qu'il se retourne, pas de traces d'Ally et Marty fait demi-tour pour la chercher. Mais trop tard.

Prostré, Marvin doit faire face au premier deuil de sa vie. Celui de la femme la plus importante dans celle-ci. Il met quelques semaines à sortir de sa torpeur et seulement parce que, dans la foulée, il réalise que s'il a perdu sa mère, son père, lui, a perdu sa moitié, son âme-sœur. Dans le même temps, père et fils prennent la décision de partir de Perth, l'endroit étant trop imprégné de son souvenir, se rappelant à eux pour raviver leur douleur et leur perte. Ils s'installent donc à Londres où la barrière entre père et fils se gomme au fur et à mesure, simplement liés par leur chagrin. Plus liés que jamais, ils apprennent à vivre ensemble, plus comme deux frères en colocations qu'un père et un fils sous le même toit, les seize ans les séparant brouillant la limite. Mais Marvin s'en fiche. Il a besoin de ce parent, de cette relation presque fusionnelle pour ne pas se noyer complètement. Enfin. "Se noyer", non. Car l'eau et le feu sont désormais ses plus grands ennemis et toute métaphore allant dans ce sens lui hérisse le poil et le ramène à elle, alors qu'il s'efforce tant bien que mal à aller de l'avant et à mettre sa douleur dans un coin de sa tête et de son cœur. La seule raison qui peut l'amener à voir la mer sans la craindre, c'est les deux pieds sur le rivage, à condition qu'il les voit sous l'eau, dans un esprit de recueillement uniquement. Comme pour lui parler, ne pas perdre le contact avec elle. Mais le reste du temps ? Le reste du temps il s'efforce de taire sa tristesse et ses souvenirs d'elle.

S'il a complètement arrêté le violoncelle, il n'a pas vraiment arrêté la musique. Il continue la guitare, ayant appris plus jeune, loin d'Ally, comment faire quelques accords, et continue dans ce cadre. En voyant que ça ne le soulage pas, Marty lui offre une batterie, qu'il n'utilise que pour se défouler. Cadeau probablement regretté jusqu'aux dix-huit ans de Marvin. Année durant laquelle il décide de se trouver un petit travail d'abord chez un disquaire. Dans la foulée de l'année écoulée, il choisit d'économiser pour se trouver un appartement. Ce n'est pas qu'il veuille s'éloigner de Marty, mais il estime avoir besoin de prendre son indépendance pour avancer.

Toujours la même année, il fait la rencontre d'Emma. Elle devient rapidement sa meilleure amie. Ils se comprennent. Ils ne se jugent pas. Ils ont tous les deux un bagage lourd, sauf qu'Emma a eu plus de temps pour le digéré, son bagage étant plus ancien que celui de Marvin. Elle s'efforce de lui faire comprendre qu'il n'y a pas que la perte et la douleur dans la vie, qu'il y a aussi des bons et beaux moments et qu'il y a droit lui aussi. Se noue une amitié indestructible entre eux, un quelque chose qui lui donne la sensation de ne pas avoir tout perdu. Elle est très similaire à Ally. Si elle n'y connait absolument rien en musique et que c'en est presque à pleurer de rire (ou de désespoir), elle transmet cette même joie de vivre qui survit dans le souvenir qu'il a de sa mère. Et ça suffit à l'apaiser.

Après deux ans à économiser et à travailler chez le disquaire, Marvin prend finalement son envol. Un double envol : de chez son père, mais aussi de chez cet employeur. Il a trouvé un poste mieux payé dans un magasin de multimédia, dans la section musique. Un véritable commencement. Il emménage seul, c'est vrai, mais il est souvent le soir avec son père, chez l'un ou chez l'autre, incapable de complètement couper le cordon, mais plus souvent chez Marty qu'ailleurs, à vrai dire, même s'il a pris la peine de venir voir où était installé son fils. Marvin en a conscience, comme lui, son père va mal. Depuis la mort d'Ally, ils ont tous les deux développé les mêmes phobies. Ils ne se disputent pas, mais ils taisent tous deux leur mal, loin de l'évocation orale. Père et fils, mais surtout deux amis, deux frères. Marvin, lui, il a changé. Il est devenu ce gamin bagarreur et impulsif, qui cherche les ennuis et qui est heureux de les trouver. Il n'écoute pas vraiment son père quand il le reprend, tête brûlée qui s'obstine à ne pas prendre en compte les recommandations, juste parce qu'il ne veut en faire qu'à sa tête. Pourtant, il n'a pas le choix que de se calmer un peu et de prendre ses responsabilités, finissant souvent par donner raison à Marty et "l'écouter" (ou du moins aller dans son sens malgré tout). Et même en étant un adulte, il continue sur sa lancée. Quant à Marty, Marvin voit bien qu'il a changé, bien qu'il soit incapable de dire en quoi ni comment. Plus refermé, plus... étrange. Incapable de définir en quoi, il s'efforce de ne pas trop froncer les sourcils d'inquiétude devant lui, sachant très bien qu'il déviera la conversation. Vous savez ce qu'on dit : tel père, tel fils.

En travaillant au magasin de multimédia, il fait la rencontre de Raphaël. Au début, ils ne font que parler musique. Puis leurs conversation évoluent. Ils débattent, déconnent, s'imaginent des trucs de fous sur les possibilités qu'aurait pu avoir le monde de la musique si telle ou telle chose s'était produite autrement. C'est rafraîchissant. Parce que Marvin n'a pas besoin de raconter son background familial pour être apprécié, parce qu'il n'est pas juste le gamin qui a perdu sa mère à quatorze ans et qui a du mal à vivre avec cette perte. Il est juste, Marvin Hopkins. Vin, pour Raphaël. Au fur et à mesure ils deviennent de vrais amis et, la suite obligeant, des meilleurs amis. La popularité de Raphaël sur YouTube n'a jamais effrayé Marvin qui s'amuse de cette pseudo notoriété. Ensemble, il leur arrive de faire des feats sur sa chaîne d'ailleurs. Et s'il n'a toujours pas remis la main sur un violoncelle depuis l'incident, il reprend pleinement goût à faire de la musique et pas juste à l'écouter, traumatisant un peu moins sa batterie le soir, quand il s'y essaie, pour le plus grand bonheur de ses voisins qui se plaignent un peu moins du boucan. Avec le temps, il lui raconte un peu les choses, sa vie en Écosse, sa mère. Mais pas les circonstances de sa mort. Il n'y arrive pas, le souvenir encore brûlant dans sa mémoire.

Il a vingt-cinq ans quand il réalise qu'il a des sentiments qui dépassent la simple amitié pour Emma. Toutes ces années à être des amis, des amis et rien d'autre, présents l'un pour l'autre pour s'aider à guérir de leurs blessures et désormais qu'elles ne sont plus que des cicatrices, pourtant si vites rouvertes, ses sentiments ont évolué pour elle. Partagés ou pas, il ne sait pas. Il ne se tait pas longtemps cela dit, incapable de se taire de peur d'exploser après toutes les mésaventures que la vie lui a offertes. Par chance, presque par miracle, ses sentiments sont partagés. Et ils se mettent en couple. Seulement leur relation est tumultueuse, bien loin de celle, fusionnelle, qu'ils ont en étant deux amis. Ils s'aiment passionnément, avec fureur, mais l'incertitude et les peurs ressurgissent chez l'un comme chez l'autre. Emma veut une vie bien rangée. Elle s'imagine déjà le nom de leurs enfants, la suite de leur vie. Marvin, lui, n'arrive pas à envisager le jour d'après. Et alors qu'elle n'attend qu'une seule chose de lui, après plusieurs mois d'amour, presque deux ans, il ne le lui donne pas, incapable de lui proposer l'anneau qui scellera leurs coeurs, leur amour et leur vie. Alors ils se séparent.

Trois ans plus tard, Emma est restée sa source d'inspiration et il a écrit plusieurs chansons sur leur relation. Son coeur bat toujours différemment pour elle, pas comme pour une amie. Mais il s'efforce de l'oublier alors qu'elle semble, elle, avoir tourné la page, prête à retrouver son meilleur ami avant tout. Alors, quand il rencontre Sophie, dans un pub en soirée, il se laisse subjuguer par sa personnalité, alchimie émotionnelle présente dans chacun des mots, des rires et des regards qu'ils échangent. Elle pourrait être la bonne. Enfin, si elle n'était pas mariée. Ce qui ne les empêche pas de se revoir une fois, puis deux, puis trois, puis bien davantage. Sans jamais n'avoir échangé quoi que ce soit de réellement physique avec elle, leurs mains se sont parfois frôlées, suivie de sourires tendres et autres. Mais elle est marié. Et Marvin ne comprend pas pourquoi il s'avance encore et encore dans une relation vouée à l'échec, incapable de savoir s'il est réellement amoureux de Sophie ou s'il est juste un homme sans fiabilité ni estime de soi, prêt à s'engager dans une relation sans espoir juste pour oublier celle qu'il aurait défini, des années plus tôt, comme son grand amour et son âme soeur.