Une sorte de dicton qui m'a accompagné pendant des années. Le côté artistique et rigoureux de la danse ont fait de moi ce que j'ai été pendant de très nombreuses années et ça, dès mon plus jeune âge. Ca me vidait la tête, ça me permettait de me défouler, et ça me donner la sensation de voler. Ca a été mon rêve quand j'étais gamin, rejoindre les plus grands parquets et pouvoir devenir danseur. Rêve qui s'envole bien assez vite au moment où je rentre au collège, mais rêve récupéré par ma petite soeur qui, elle a toujours été très claire sur le sujet, ne baisserait jamais les bras. La rigueur est de mise dans ma famille, je suis celui qui lui donne des cours en attendant que sa prof revienne de son congés maternité, et je découvre le professorat par la même occasion, mais ça on y reviendra plus tard. Deux petits frères et une petite soeur, trois personnes que je considère comme la prunelle de mes yeux. Mon petit frère a trois ans de moins que moi, alors que les deux suivants sont arrivés le même jour, un mois après mes cinq ans, me faisant découvrir le concept de faux jumeaux. Tous les quatre, malgré nos plus grandes différences, sommes inséparables, incapables de rester bien loin les uns des autres, et surtout incapables de rester sages quand on est ensemble.


Phrase balancée à la volée à mes parents sans même leur expliquer le pourquoi du comment. Je me débrouille bien en classe, je suis intéressé, et je finis toujours par être le premier de ma classe. Mes notes encouragent mes professeurs à parler à mes parents de la possibilité que j'ai de sauter une classe, et mon comportement leur indique le contraire. Sociable et malgré tout solitaire, le fait que je sois souvent dans mes pensées n'est un secret pour personne, ou en tout cas pas pour ceux qui prennent le temps de me porter de l'attention pendant plus de dix minutes. Mes parents en sont globalement conscients, mais ils ne sauraient pas expliquer le pourquoi du comment. Je leur demande énormément de choses, allant des explications les plus simples aux questions ne faisant que démontrer l'inquiétude constante dans laquelle je vis. Mon besoin de comprendre ce qui m'entoure n'est que la surface d'un mal-être profond, d'une anxiété uniquement calmée par la connaissance la plus profonde de ce qui m'entoure. Pendant longtemps, mon comportement restera sans diagnostic précis, jusqu'à ce qu'il tombe : l'anxiété chronique. Au final, le fait que mes parents décident de ne pas me faire sauter de classe a surement été un cadeau, même si aucun d'entre nous n'en aura jamais la preuve.


Proposition balancée à l'aveugle par un de mes professeurs en me voyant tenter d'aider un de mes camarades en cours de maths. Au début, je n'ai pas vraiment pris ça au sérieux, bien trop occupé à douter du fait que je sois capable de réellement aider mes camarades, qu'ils soient de mon âge ou non. Alors je me suis contenté de dire non, c'était tellement plus simple après tout. Puis avec le temps, ce non s'est transformé en un peut-être. Et, à encore plus long terme, ce peut-être est devenu un oui. A mes yeux, ce n'était qu'un test, mais je n'aurais jamais pu deviner que ça se passerait si bien. Pouvoir expliquer les cours à mes camarades de classe, ou alors d'anciens cours à des gamins plus jeunes que moi me plaisait énormément. A partir de là, l'idée de devenir professeur a pointé le bout de son nez. Au début, c'était loin d'être une idée constante, bien plus passagère qu'autre chose. Mais au fur et à mesure des mois et des années, elle est devenue concrète et surtout, elle est devenue réelle. J'ai fini le collège, fini le lycée, et je suis parti à la fac pour pouvoir devenir professeur. J'avais la sensation que tout mon chemin était déjà tracé, ce qui était presque suffisant pour calmer mes crises d'anxiété parfois bien trop intrusives. Mais ça, ce n'était rien d'autre que naïf.


Ce soir-là aura été la première et dernière fois que j'aurais pris un raccourci pour rentrer chez moi après les cours. Ma chambre étant hors du campus, le trajet avait tendance à être un peu long à pied, et ce soir-là, il pleuvait des cordes. J'avais hésité à appeler un taxi, mais j'avais préféré accélérer le pas et couper au travers d'un parc peu éclairé. Je l'ai directement regretté. J'ai assisté à quelque chose d'infâme, absolument infâme, qui a brusquement détruit ce fameux chemin que je pensais tout tracé pour moi. Une violence inouïe, une peur qui prend par les tripes, une tentative de discrétion qui se termine en échec et, soudainement, des coups des menaces qui me sont destinées. Encore aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi j'ai eu la vie sauve, mais j'ai vite décidé que j'en profiterai et surtout, que je me servirai de tout ça pour changer pour le mieux. J'ai abandonné la fac sans trop réfléchir avec une volonté : rejoindre l'académie de police. Mes parents n'étaient pas pour, tout comme une partie de ma fratrie, d'ailleurs. Des conflits jusqu'à présent inexistants ont éclaté au sein de ma famille, me forçant à prendre ma décision par moi-même, avec ma sœur comme unique supportrice. Evidemment, j'avais conscience du fait que ce choix devait relever de la folie, d'un point de vue extérieur, tout comme j'étais parfaitement conscient du fait que c'était risqué. Mais, sans savoir l'expliquer par d'autres termes, j'avais la sensation que l'académie m'appelait, que rejoindre les rangs de la police serait le seul moyen de rendre cette fichue rencontre utile.


L'Académie est loin d'avoir été une formalité, mais elle a par contre été une véritable partie de plaisir. Si tout semblait indiquer que j'aurais ma place dans le professorat, cette sensation n'avait rien était par rapport à celle que j'avais eu au moment de ma formation pour devenir flic. En plus de la sensation d'être à ma place, j'avais également le savoir que c'était le cas. L'académie a été un brutal succès, autant au niveau personnel qu'au niveau professionnel. Il a été possible pour moi de prendre place dans une des stations de Chicago, et c'est là-bas que je les ai rencontrés. Au début, il ne m'avait été présenté que par son nom de famille, Miller. Ce que je n'aurais pas soupçonné à ce moment-là, ça serait la proximité que l'on gagnerait, tous les deux. On est rapidement devenus plus ou moins inséparables, me permettant par la même occasion de connaître sa partenaire de travail, mais également de vie, Ophelia. Tous les deux étaient la définition même de la relation qui marchait et qui, assez franchement, pourrait rendre n'importe qui jaloux. Pour quelqu'un comme moi qui n'avait jamais pris le temps de m'attacher à qui que ce soit, plus par peur que par manque d'opportunités, c'était une belle leçon de vie, je suppose. Ils se sont rapidement retrouvés parents, scellant ainsi leur union d'une nouvelle manière, me permettant par la même occasion de voir ces trois petites filles aux visages d'ange grandir. Mais ça, c'était avant que tout ne bascule, encore une fois.


On devait passer la journée ensemble, rien de plus, rien de moins. Journée qui avait commencée par un jogging avant d'évoluer sur une simple balade tous les deux, accompagnée d'un bon café et de multiples discussions. Puis d'un coup, tout s'était passé bien vite. Une attaque gratuite, pouvant surement paraître comme étant sans intérêt, mais se soldant par un désastre. Il était mort, vulgairement assassiné, et bordel je n'avais rien fait. Ce n'est pas tant que je n'avais pas pu faire quoique ce soit, c'est simplement que je n'avais rien fait. J'étais resté figé là, incapable de faire quoique ce soit d'autre qu'assister à la scène, finissant par prendre mes jambes à mon cou et vomir l'intégralité du contenu de mon estomac à peine quelques mètres plus loin. Il m'a fallu du temps, avant d'y retourner, le constat présent devant moi étant insoutenable, me provoquant de nouvelles nausées. Il était mort. Je ne saurais dire combien de temps je suis resté là, à attendre que les forces de l'ordre arrivent, assis à côté de lui, incapable de faire le moindre mouvement, incapable de laisser échapper la moindre larme. Tout était de ma faute, j'en étais conscient. J'ai demandé à être celui qui préviendrait Ophelia, je devais assumer. Encore aujourd'hui, je maintiens que lui annoncer le décès.. Non, l'assassinat, de son mari a été la chose la plus dure que j'ai eue à faire, en plus d'assister à ce foutu meurtre en premier lieu. Evidemment, qu'elle m'a blâmée, comment est-ce qu'elle aurait pu ne pas le faire ? Le résultat de cette conversation était pire que ce que j'avais osé imaginer, mais bien moins sévère que ce que j'estimais mériter. Je n'assisterai pas à l'enterrement de celui qui était mon meilleur ami, et il ne faudrait plus que je prenne de nouvelles d'elle et ses filles. Considérant que j'étais celui à qui il avait demandé de prendre soin de sa famille si quelque chose devait lui arriver.. Je n'étais rien d'autre qu'une fraude.


Evidemment, j'ai songé à démissionner, mais je ne l'ai pas fait. C'est grâce à une seule personne, un homme nommé Mark avec qui je sortais depuis un bon moment déjà. Il est le seul qui m'a permis de garder la tête hors de l'eau, même s'il n'a pas été capable de m'empêcher de m'enfoncer dans les méandres de la douleur, de la culpabilité et de la dépression. C'est lui qui m'a conseillé d'aller voir un psychologue, recommandation que j'ai mis énormément de temps à accepter, avant de finalement le faire. Certains diront que ça m'a aidé, mais j'ai du mal à estimer que c'est le cas. C'est elle qui m'en a parlé, de cette fameuse dépression. Entre ça, mon anxiété et cette foutue culpabilité, je doutais fortement du fait que je puisse remonter la pente, je ne le méritais de toute manière pas le moins du monde. C'est probablement ce genre de pensées et paroles qui a mené Mark à demander à ce qu'on se sépare, je ne pouvais d'ailleurs que difficilement le blâmer. Je pourrais dire que j'ai arrêté d'être une personne respectable à la seconde où j'ai perdu mon meilleur ami, mais je suis persuadé que je ne l'ai jamais réellement été. Je n'ai jamais osé tenter de renouer contact avec Ophelia, bien trop lâche pour oser essayer, quitte à rompre cette foutue promesse que j'avais fait à mon meilleur ami il y a de nombreuses années.


Et pourtant, la vie m'a tendue la perche, la possibilité d'essayer de repartir de zéro, ou plutôt la possibilité d'essayer de me racheter. Une mutation à Londres m'était proposée, là où Ophélia travaillait. Je faisais partie de ceux qui étaient au courant de la raison de sa mutation, raison qui ne faisait qu'aggraver cette culpabilité qui continuait de me ronger, même neuf ans après les faits. J'aurais dû agir. Ce genre de mots qui continuent de me hanter, accompagnés de tout ce que j'ai pu voir ce jour-là, il y a maintenant neuf ans. J'ai longuement hésité à accepter cette mutation, avant de finalement le faire, conscient du risque que ça représentait, mais également conscient du fait que peut-être, juste peut-être, ça me permettrait d'honorer cette fichue promesse. Mais évidemment, ça aurait été trop simple que l'on ne soit que collègues, il a fallu que l'on soit partenaires. Cette nouvelle affiliation a presque suffi à me faire faire demi-tour mais, cette fois, j'ai refusé de fuir. Alors non, ça n'a pas été facile, ça serait mentir de dire que ça l'est devenu, d'ailleurs. L'envie de m'en griller une me consume un peu plus chaque jour, encore plus depuis ce foutu baiser. Parce que oui, évidemment, il a falllu que je me laisser dépasser par les effets de l'alcool et que l'on s'embrasse. Bordel, mais qu'est-ce que j'ai fait ?